GÉRARD LARDEUR OU LA MARCHE DE L’HOMME VERS LA LUMIÈRE
Il est des êtres d’exception qui possèdent ce charisme d’instaurer un ordre dans le chaos du monde qui nous entoure, de lui donner un sens. Gérard Lardeur était de ceux-là. Son nom figure déjà en bonne place dans toutes les anthologies du vitrail contemporain, mais aussi dans les dictionnaires des sculpteurs du métal. Cette double approche a produit une œuvre qui bouscule les genres, abolit les frontières, et dont le catalogue, d’emblée, impressionne : aux dizaines de cathédrales, églises paroissiales, chapelles conventuelles qui, de l’Alsace à la Bretagne, du Nord à la Saintonge, ont reçu ses vitraux à partir de 1953, s’ajoutent les sculptures monumentales en inox ou en corten, les murs reliefs en fer ou en béton, et autres « écritures dans l’espace ».
Le vitrail, exercice périlleux où tant de peintres, et non des moindres, ont échoué, faute de savoir traiter la lumière en trois dimensions, ne se réduisait pas pour lui à ce « panneau constitué de morceaux de verre, généralement colorés, assemblés pour former une décoration », il tendait à devenir une résille métallique enserrant des fragments de verre, voire, au terme du processus, une sculpture colossale occupant tout l’espace de la baie. Plus encore, il le définissait comme un art social, universel. Mises bout à bout, les notes qui explicitent ses croquis composent un grand poème de l’Homme : « le retour de la lumière vers l’homme », « l’un et l’autre », « le dialogue naturel de l’homme avec son espérance », « chemin de l’utopie », « vision changeante ». Le sculpteur se présentait avec humour comme « un constructiviste éclairé ». Son travail, procédant par leitmotive, n’a cessé d’explorer un nombre restreint de formes, comme le cercle rompu en deux moitiés, symbolisant la dualité de la matière et de l’esprit, séparés par un espace infime, immense, la conscience…
La foi constituait une donnée essentielle de cet artiste humaniste, fraternel. Non qu’il pratiquât le prosélytisme. Simplement, il y avait sa certitude tranquille, qui faisait impression, son exemple vivant, son rayonnement. On ne pouvait que l’aimer, du premier coup, et pour toujours.
Organisant naguère une exposition sur le vitrail contemporain en Bretagne, je l’avais intitulée Sculpter la lumière, et c’était bien sûr en pensant à lui, à sa manière de prendre un monument à bras-le-corps, comme un athlète, comme un lutteur, et de le transfigurer par ses vitraux, d’en faire une sculpture. En poussant la porte de son atelier, ouvert ces jours-ci au public, on pénètre dans la forge de Vulcain, ou dans le jardin d’un monastère zen. L’heure est venue de faire connaître et partager (un mot qu’il affectionnait) cette œuvre. Mais, d’ores et déjà, je sais qu’il existe des hommes et des femmes, car certains m’en ont fait la confidence, qui sont entrés un jour dans une église investie par Gérard Lardeur, et qui ont tiré de cette visite – fortuite, providentielle ? – une force nouvelle, une espérance, un apaisement. Peut-on rendre plus bel hommage à un créateur ?
Philippe Bonnet
Conservateur en chef du Patrimoine
Professeur à l’Université de Bretagne-Sud